« Il y a plein de beaux projets », entrevue entre Inser’Eco93 et Alice Gauny, directrice de l’association La Marmite, qui porte un ACI à Bondy

Mis à jour le 15/07/2020

Propos recueillis par Henry Bayle et Rahma Bensemail, chargé·e·s de mission chez Inser'Eco93, dans le cadre des visites d'Inser'Eco93 effectuées au sein des structures membres.

Arrivée en septembre 2017 pour reprendre les rênes de l’association La Marmite qui porte un accueil de jour et un chantier d’insertion en restauration, Alice a entrepris avec son équipe une refonte de la structure, « menant un gros travail d’assainissement et de professionnalisation ». Aujourd’hui, en dépit de la crise du coronavirus et des baisses de commande qui en sont consécutives, l’association se consolide et des projets de développement sont à l’étude. Toutefois, Alice nous rappelle que la bonne marche d’une SIAE passera également par une amélioration des conditions de travail pour les équipes permanentes, trop exposées physiquement, émotionnellement et mentalement à une violence sociale sans cesse renouvelée.

Retrouvez le contenu de cet entretien ici.

Equipe Inser’Eco93 : La Marmite, c’est quoi ?

Alice Gauny : C’est une association qui porte un accueil de jour et un chantier d’insertion en restauration. C’est né de la prévention santé dans les années 90, et ça s’est transformé peu à peu en un accueil de jour, lieux d’accès au droit et prévention de la santé.

IE93 : Depuis quand êtes-vous arrivée à la Marmite ?

AG : Ça va faire bientôt trois ans que je suis à La Marmite, depuis septembre 2017.

IE93 : Pourquoi avoir choisi ainsi de prendre les rênes d’une SIAE ?

AG : Pourquoi ? Je travaillais auparavant dans la coopération internationale, j’ai dirigé des établissements culturels à l’étranger pendant une dizaine d’années. De retour en 2017, j’avais l’intention de m’impliquer dans le social, d’en découdre avec cette réalité-là. J’avais des compétences de gestion de structures, pas dans le social, encore moins dans l’insertion par l’activité économique, mais j’avais dirigé des entités économiques. Donc, j’ai été recrutée là un peu par hasard si je puis dire, puisque je ne connaissais pas le territoire. Je n’avais même jamais travaillé en France. Il faut croire que le conseil d’administration a cru en ma capacité à redresser la structure. Ils ont trouvé leur « mouton à cinq pattes » ! (Rires)

IE93 : Quel est votre regard sur l’évolution du projet depuis votre arrivée ?

AG : On a mené un gros travail d’assainissement et de professionnalisation au sein de la structure. Il y a eu un travail sur différents aspects : tant sur les ressources humaines que sur la gestion administrative et financière de la structure, que sur le travail de partenariats institutionnels où il fallait reconquérir la confiance. Je pense qu’on y est parvenus. Je dis « on » parce que c’est toute une équipe évidemment. Il y a en particulier le chef de service de l’accueil de jour qui a été très impliqué, ainsi que la responsable administrative, Romain Saussereau et Evelyne Blaza. Voilà, je dirais qu’on a dû tout reprendre quasiment. Un peu déconstruire pour reconstruire. Il y avait un retard important dans la gestion aggravé par une trésorerie insuffisante. L’exercice 2017 s’est ainsi soldé par un important déficit, ce qui nous a mis dans une situation à la limite de la cessation de paiement. On était en interdit bancaire. C’était au mois de mai 2018, on a fait appel à Garances pour obtenir un FAR (Fonds d’Avance Remboursable) ; et là c’est vrai que ça a alerté tout le monde parce que jusqu’à ce moment-là je n’avais pas trop parlé et discuté. J’essayais de gérer, d’absorber à un rythme de 70 heures semaine, de traiter du dossier ! Mais à cette époque- là, j’évoque enfin la situation de La Marmite via cette demande de FAR.  Et ça a réveillé, averti, mobilisé le volet gouvernance, les différents acteurs aussi, qui ont manifesté un soutien. Et donc on a commencé à se faire accompagner. Deux DLA se sont succédés : un DLA sur le modèle économique, un autre sur le chantier d’insertion. Progressivement on a assaini la situation et on est revenu à l’équilibre en 2018, avec une consolidation en 2019. Aujourd’hui, on est passé de 21 salarié·e·s à 27.

On a également renforcé certains volets sur l’accueil de jour. On a développé notre travail autour de la promotion de la santé en inaugurant un volet sur la santé mentale, et en introduisant entres autres, des activités physiques adaptées, comme le yoga… Il y a plein de beaux projets. On travaille également sur l’inclusion sociale des femmes, sur les violences faites aux femmes, on travaille de nombreuses thématiques et tout ça c’est le fruit d’un renouvellement du soutien des partenaires, des conventions pluriannuelles par exemple avec la Politique de la Ville, l’ARS ou encore le FSE… Enfin, on a réussi à restructurer notre chantier d’insertion et ainsi à renforcer notre capacité de production. En 2017, les recettes pour vente étaient de 40 000 euros et en 2019, de 155 000 euros. On a pu investir, faire des travaux dans la cuisine, acheter du matériel pour monter tant en gamme qu’en quantité, grâce au soutien de Garances, du Département et de la Direccte.

IE93 : Quels furent les défis les plus durs à relever ?

AG : Je dirais que c’est vivre avec la violence sociale au quotidien, avec l’impact que ça a sur l’ensemble de l’équipe, d’où un point crucial sur la sécurité des équipes. Je pense que la question de la souffrance au travail a été assez centrale et assez complexe à gérer. Evidemment, la question du maintien de la structure à flots, ça été également un autre gros défi.

IE93 : Comment s’est passée la période de confinement ?

AG : La crise s’est passée aussi bien que possible, un plan de continuité d’activité idoine a été développé en urgence. On fait partie des structures restées ouvertes. Ce dispositif a bénéficié à un certain nombre de personnes puisqu’on accueillait en moyenne 30 à 40 personnes par jour pendant le confinement avec maintien des services de premières nécessités, distribution de repas et accompagnement social. Tout cela grâce à une équipe qui n’a jamais questionné finalement cet engagement, et qui je pense en a tiré beaucoup de fierté. Evidemment ça s’est accompagné d’une adaptation, de shifts décalés. Tout le monde ne travaillait pas toute la semaine, on a réduit les horaires. Les collègues ont globalement travaillé un jour sur deux avec masques, gels, et consignes strictes.

IE93 : Des freins à la reprise identifiés ?

AG : Une baisse d’activité. On essaye de juguler cela en se disant que c’est une opportunité pour prendre du temps et réfléchir sur l’optimisation de l’organisation, pour changer notre menu, faire évoluer notre offre, pour renforcer l’accompagnement des salarié·e·s sur le plan technique… On fait contre mauvaise fortune, bon cœur !

IE93 : Selon vous, quelles pistes d’amélioration pour la structure, quoi travailler ?

AG : La question du développement économique, la question commerciale. La Marmite est une structure qui atteint une taille critique. On est aux alentours de 850 000 euros / 900 000 euros de chiffre d’affaires global, et encore très dépendant des financements publics. L’idée serait d’augmenter la part d’autofinancement. Peut-être que ça passera par le développement d’un autre type d’activité, un déménagement… A voir. Il faut en tout cas qu’on dépasse maintenant un certain cap, et ça peut passer aussi par de la mutualisation, par un rapprochement avec une autre structure. Ça fait partie des réflexions qui vont être menées dans les mois et années à venir.

IE93 : Quels besoins sont les plus difficiles à satisfaire ?

AG : Il y a un besoin de montée en compétences des collègues, des équipes. C’est en tout cas un autre plafond de verre que j’identifie. Il y a un moment on est limité aussi par les ressources humaines, et si on n’investit pas sur les ressources humaines, et bien ça ne peut pas vraiment avancer. Nous sommes très dépendants des contrats aidés. Ça favorise l’accès à la formation mais ce n’est pas toujours un moteur pour une structure. Concernant l’encadrant technique, il faut aussi un moment qu’il prenne du temps pour évoluer, pour apprendre de nouvelles choses. Mais quand vous êtes dans le jus en permanence, vous plafonnez. Ceci vaut aussi pour le management.

Tu as besoin de temps, de distance pour aller voir autre chose, aller sur des rencontres professionnelles, sur le terrain, ailleurs pour voir comment ça se passe. C’est peut-être passé un autre diplôme, une autre certification ou que sais-je encore. A mon sens il y a un vrai problème de renouvellement, et la réalité c’est qu’ici on s’épuise. Je dis ça également pour moi : on s’épuise, on donne tout, et advient un moment où l’on n’a plus le ressort nécessaire. Je pense que c’est une vraie difficulté de notre structure et cela fait que les gens ne restent pas, ils donnent tout, mais tout donner sur le long terme, ça ne tient pas. Tout à l’heure je parlais de la violence sociale, au quotidien c’est très éprouvant et complexe, même quand on est formé.

IE93 : Merci beaucoup Alice pour cet entretien.

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